J'avais écrit un jour ces mots pour toi, c'était il y a des années. Aujourd'hui leur limpidité me fait entrevoir quelque chose auquel j'ose à peine croire, un peu comme un rideau qu'on ouvre brutalement sur un matin plein de lumière...Tout était donc déjà écrit.

photo : Bogac Erguvenc

S'enfuir loin d'ici l'âme couverte d'hématomes, loin de la fatigue et de la peur, loin de la nuit hagarde et blême, loin de la place de grève où on tue et où on crève. S'enfuir avec très peu de bagages, juste le nécessaire quoi, mon corps, ma foi, mon désir, un peu de maquillage quand même, et mon portable.

C'est une gare ou bien une avenue ou bien une vaste chambre d'hôtel. Il fait très beau. Il est très beau. Autour plein de monde ça fait partie de l'histoire. J'aime la foule parisienne pour sa puissance, son absorbtion, son anonymat, sa neutralité radicale et son indifférence royale. Elle me le rend bien, elle me laisse toujours ma place. Une place de choix.

Il fait doux c'est le printemps, ses mains sur ma peau sont encore plus douces cependant, je me cambre quand il me prend dans sa bouche, ce n'est pas possible tout ce plaisir, cette lumière, cette douceur, cette beauté, les vagues de la foule lointaine montent à l'assaut de mes peines et commencent le travail...J'oublie. Je gémis. Je demande. Il me prend. J'oublie encore et encore. La ville derrière les murs, avec lui qui me défonce, s'occupe si bien de moi que dans quelques secondes je serai complètement heureuse.

Je crie. Je mords tout ce qui se trouve à ma portée, je chavire, je deviens l'eau qui monte, le flot qui enfle démeusurément, sa démesure à lui, la mienne, je ne sais plus, je veux tout, jusqu'au bout, jusqu'après les limites, toutes les limites, je brise tout sur mon passage, je n'ai plus d'autre horizon que l'horizon lui-même, là-bas, si loin et si proche à la fois, je vais le toucher, on va le toucher, je voudrais hurler, je suis la violence à l'état pur, ce que j'impose à mon corps c'est mon corps qui l'implore.

Lui me suit, me prend, me défonce, m'écartèle, me demande, comment ne pas répondre, je l'emmène je continue je deviens un peu plus moi, mon corps est en train de restructurer mon âme - la structure c'est au-delà de la mesure, quand on touche l'infini, quand on bascule dans la profondeur totale, quand on va tout au fond, là où le plaisir surpasse à jamais le monde.

J'ai dormi. Juste une petite demi-heure suspendue dans le temps, légère et tendre comme une caresse, quand j'ai rouvert les yeux j'étais étonnée, j'étais délivrée, j'étais si bien que j'avais pas envie de me lever. Dehors la foule citadine continuait son oeuvre, majestueuse et terrible, silencieuse et assourdissante, j'ai souri et je lui ai dit : j'aime trop le sexe, je passerais ma vie à tirer, simplement, manger, rien faire, parler un peu, tirer encore et encore...Toute la vie comme ça.

Je garde ça, la toute petite sieste, la confiance immense, le silence et dehors le bruit, je garde ça précieusement dans ma boîte à trésor, entre le rêve, la réalité et mes fantasmes les plus terribles et mes pensées les plus tendres.

Eros et beatitudo

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