photo : Daniel Bauer

Du fond de l'enfance, traversant à toute vitesse mon adolescence passionnée, surgissant dans toute sa puissance d'acier, il est revenu, il est entré en gare à nouveau, il m'attend, prêt à m'emmener partout, à me faire voyager à la rencontre de mes plus chers désirs, à me faire découvrir toutes les contrées...Dans un geste machinal je poinçonne les billets, je suis tellement heureuse de le retrouver. Il m'a toujours emmenée vers ceux que j'aime, vers ce que j'aime au plus profond de moi, l'aventure, le voyage, l'érotisme des terres nouvelles.

L'odeur mâle et tendre, sèche, douce, j'ai jamais senti cette odeur ailleurs que dans les trains grandes lignes, elle me creuse le ventre, elle me fait envie à en mourir, déjà très jeune fille je ne pouvais pas résister, combien de fois dans mon étroite couchette, quand toutes les lumières étaient éteintes, ai-je rêvé du beau voyageur qui serait venu me prendre dans la pénombre...

Le train file si loin qu'il remonte au plus profond de moi, de mon enfance ferrovière, wagons-lits précieux, trains-couchettes populaires, premiers TGV et premiers émois...Un plaisir indicible a pris possession de moi, comme quand on rentre chez soi ou qu'on enfile un vieux jean tant aimé qui vous fait des fesses d'enfer. Je suis tellement heureuse d'être là et que le voyage n'ait jamais cessé.

Bercée par le rythme du train j'ai fermé les paupières depuis un moment. Je ne dors pas vraiment je somnole, je laisse les images me prendre, en succession ou bien en même temps, les unes sur les autres, les unes dans les autres, imbriquées, étroitement mêlées. J'aime tant les trains.

Le voyage n'a pas cessé en réalité, peut-être me suis-je vraiment endormie quelques temps je ne sais pas, mais c'est toujours le matin, il fait beau, le train va très vite, les voyageurs sont plus ou moins occupés. Ceux qui feuillètent un magazine ceux qui mangent ceux dans leur portable ou leur mp3 ceux qui lisent ceux qui sont seuls ceux qui sont en couple et ceux qui sont en famille.

Il ne le sait pas, enfin pas encore complètement, cet amour des gares, des trains, des transports, ni tous mes souvenirs. L'adolescente qui n'arrivait pas à dormir et qui était allée se poster à la fenêtre du train de nuit juste à côté du type du compartiment d'à côté qui fumait sa clope -parce qu'à l'époque on avait le droit de fumer dans le couloir des trains. Les trois beaux gars dans le train du midi avec qui j'avais joué avant d'arriver à Nice, un peu échevelée mais sans me départir de mon beau sang-froid de jeune femme sûre d'elle. L'adrénaline dans un compartiment du train Paris-Montpellier quand le contrôleur avait toqué à la porte brutalement en plein milieu d'une fellation en règle.

- Madame, contrôle des billets !

C'est lui. Celui-là je l'avais oublié. Lui ne m'a pas oubliée. Il a les mêmes yeux que celui de mon enfance, les mêmes que celui de ce fameux compatiment où j'ai fauté, peut-être que tous les contrôleurs ont les mêmes yeux finalement. Je me demande s'il sait. Je lui tends mon billet, il vérifie, il valide. Ma petite main tendue attend qu'il me le rende, il se penche un peu vers moi. On dirait presque qu'il sait tout. Ses lèvres sont très fines comme j'aime, comme celle de l'homme que je vais retrouver dans quelques minutes et dont je suis folle. Voilà ça y est il m'a rendu mon billet. J'ai le droit de continuer le merveilleux voyage.

Train grandes lignes

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